MÉMOIRE AU COMITÉ PERMANENT DES FINANCES DE LA CHAMBRE DES COMMUNES DANS LE CADRE DE SES CONSULTATIONS PRÉBUDGÉTAIRES

Soumis par le Partenariat en faveur des sciences et de la technologie

Le 12 août 2011

RÉSUMÉ

La relance de l’économie mondiale est en jeu. Même si, jusqu’ici, le Canada s’en est mieux tiré que d’autres, pour que la croissance de l’économie soit soutenue à long terme, il faut prendre l’engagement de construire un pipeline d’innovation qui permettra d’acheminer les meilleurs produits et idées jusqu’aux marchés, avec rapidité et efficacité. L’investissement dans les recherches fondamentales et dans ceux et celles qui les mènent est indispensable si l’on veut avoir une offre régulière d’idées pour le pipeline d’innovation, et le Canada a fait des progrès à cet égard. Toutefois, nous continuons de nous battre pour traduire des idées en solutions et en produits efficaces qui créent richesse et emplois. De fait, il y a des fuites dans le pipeline d’innovation qui empêchent les meilleures idées de donner tout leur potentiel économique.

Dans ce mémoire, nous avançons trois idées pour réparer le pipeline canadien d’innovation. Le
gouvernement peut stimuler l’innovation et raccourcir les délais qui s’écoulent avant que les
meilleurs produits et idées n’arrivent jusqu’aux marchés d’écoulement en regroupant les
organismes d’enseignement, de recherche et d’affaires en grappes d’innovation, il peut créer des emplois et stimuler l’innovation en rétribuant les entreprises canadiennes qui recrutent des
diplômés canadiens hautement qualifiés, et catalyser la productivité en diffusant les données, en particulier celles qui proviennent des recherches financées par les deniers publics, gratuitement et en ligne. Ces mesures sont indispensables à qui veut bâtir une économie du savoir dont dépend la croissance économique future du Canada.

Le Partenariat recommande au gouvernement :

• de promouvoir la création de grappes d’innovation pour catalyser la production et la transmission de connaissances entre les secteurs public et privé;
• d’offrir des stimulants aux entreprises pour qu’elles engagent des diplômés
• canadiens en recherche de pointe et de réduire le niveau des crédits d’impôt pour la recherche et le développement expérimental;
• d’élaborer une politique nationale sur l’accessibilité et la gestion des données qui contienne un engagement qui assure l’accès à long terme à la propriété intellectuelle et la protège.

Introduction
La crise économique mondiale qui a débuté en 2008 est loin d’être terminée. La relance est
menacée par l’instabilité constante des marchés financiers mondiaux et par l’incertitude qui
entoure la vigueur de l’économie nationale. La vigueur relative de notre système financier et la
demande constante de nos ressources naturelles contribueront à protéger quelque peu l’économie canadienne contre les fléchissements à venir. Mais cela ne suffira pas. La croissance économique à long terme ne peut se faire que sur la base de la création de connaissances et de l’innovation – un pipeline d’innovation qui permet d’acheminer les meilleurs produits et idées jusqu’aux marchés avec rapidité et efficacité.

Les idées attisent l’innovation. La construction d’un pipeline d’innovation doit donc commencer
par des investissements dans les idées, ce qui signifie l’appui des recherches fondamentales et des gens qui s’y livrent. Le Partenariat en faveur des sciences et de la technologie (PFST) –
association qui regroupe 26 organisations professionnelles et scientifiques représentant plus de 50 000 membres du milieu universitaire, du secteur privé et du secteur public – a constamment souligné ce point dans les mémoires préalables qu’il a présentés au Comité. Notre mémoire de 2010 insistait sur le besoin de mener une concurrence farouche pour recruter des chercheurs talentueux du monde entier, et c’est avec satisfaction que nous avons appris l’engagement récent pris par le gouvernement d’appuyer les possibilités internationales de formation à cet égard. Nous nous félicitons également de l’annonce de 10 nouvelles chaires de recherche en excellence du Canada. Les deux programmes permettront d’attirer et de retenir les esprits les plus talentueux. Nous souscrivons par ailleurs sans réserve aux efforts constants déployés par le gouvernement afin d’augmenter les coûts directs et indirects des recherches fondamentales pris en charge par les conseils subventionnaires, car c’est le meilleur moyen d’assurer une offre constante d’idées pour le pipeline d’innovation.

Un milieu de recherche vigoureux garantit un flux d’idées régulier. Il existe un certain nombre
d’indicateurs qui incitent à penser que le Canada s’améliore à cet égard : la productivité de la
recherche scientifique a progressé de 44 p. 100 entre 2002 et 20081, et nous sommes dans le tiers supérieur des pays au chapitre de la collaboration internationale2. Cependant, de nombreux rapports font valoir que nous continuons d’accuser du retard pour ce qui est de traduire ces idées en produits et en solutions livrables et commercialisables qui contribuent à améliorer la santé, l’environnement et à accroître la productivité et la richesse des Canadiens. Il y a donc une fuite dans le pipeline d’innovation : nos meilleures idées ne donnent pas toute leur mesure économique. Ce mémoire présente trois idées sur la façon dont le gouvernement peut s’y prendre pour réparer le pipeline.

Grappes d’innovation
La géographie est un catalyseur de créativité. Les choses se mettent à bouger lorsque les gens interagissent au quotidien et en personne. Des idées germent, sont examinées, révisées,abandonnées tandis que de nouvelles prennent leur place. Un lieu physique commun facilite la compréhension réciproque, l’établissement de partenariats naturels, l’échange d’idées et de ressources et l’émergence d’innovations. Même si la technologie a beaucoup fait pour raccourcir les distances entre les points géographiques éloignés, il n’y a toujours rien de mieux que de se rassembler pour que quelque chose arrive.

Cela vaut particulièrement lorsqu’il s’agit d’innovation. Le récent rapport du Conseil des
sciences, de la technologie et de l’innovation (CSTI)3 soulignait l’importance des grappes – une masse critique d’entreprises, d’établissements d’enseignement et d’organisations de recherche gouvernementales concentrés sur le plan géographique et interconnectés sur le plan intellectuel – comme indicateurs et incubateurs de transmission du savoir et d’innovation. Les membres d’une grappe se font concurrence et collaborent entre eux, offrant un lieu où le mouvement plus fluide des ressources et des talents permet à de nouvelles idées de germer et raccourcit les durées d’écoulement des nouveaux produits jusqu’aux marchés.

Il existe quantité d’exemples de grappes fructueuses : la Silicon Valley est sans doute la mieux connue, suivie de près par les campus du secteur privé des laboratoires Bell, du Research Triangle de Caroline du Nord et, plus près de chez nous, de Research In Motion et du District de découverte MaRS. L’Allemagne a montré l’exemple en concevant des stratégies nationales visant à promouvoir les investissements des entreprises comme IBM dans des grappes d’innovation. Toutes ont réuni des spécialistes des recherches fondamentales et appliquées, des ingénieurs et des entreprises industrielles dans un milieu commun qui catalyse l’innovation.

Nous suggérons au gouvernement de collaborer avec les municipalités et les provinces à la
création de milieux nouveaux pour l’établissement de partenariats d’innovation. Des fonds
d’investissement pourront être versés aux universités pour bâtir des infrastructures qui tiendront
lieu « d’incubateurs de l’innovation » dans leurs campus. Ces investissements initiaux seront
mobilisés grâce à des partenariats publics-privés avec des entreprises désireuses de faire partie de l’incubateur d’innovation. Les incubateurs d’innovation offriront des bureaux, des installations de recherche, d’enseignement et de développement communs aux chercheurs universitaires et aux employés des organismes gouvernementaux qui travaillent dans des domaines « thématiques » particuliers (comme la santé, l’énergie, l’agriculture, les forêts, l’environnement, l’eau, la sécurité alimentaire, l’économie numérique, etc.) ainsi que des entreprises établies du secteur privé qui partagent les mêmes intérêts.

Les avantages sont multiples. Les grappes d’innovation offrent des interfaces aux chercheurs
universitaires, gouvernementaux et du secteur privé pour envisager de nouveaux partenariats;
elles intègrent le secteur privé dans les centres d’apprentissage du Canada pour échanger des
idées et des expériences, et elles prennent part à la formation de la nouvelle génération de
penseurs et d’innovateurs du Canada; elles procurent un terrain de formation nouveau aux
étudiants canadiens de l’enseignement supérieur, ce qui leur permet d’entretenir des rapports
directs avec l’industrie dès le commencement de leur carrière. Enfin, les grappes d’innovation
créent de nouveaux débouchés commerciaux et un environnement qui stimule la croissance
économique.

Recommandation :
Que le gouvernement promeuve la création de grappes d’innovation pour catalyser la
production et la transmission de connaissances entre les secteurs public et privé.

Nouveaux emplois pour les diplômés canadiens
Des effectifs hautement qualifiés sont un élément essentiel du pipeline d’innovation. Le Canada a bien fait d’améliorer sa capacité de former la prochaine génération de chercheurs et
d’innovateurs. Entre 2005 et 2008, par exemple, nous avons enregistré la plus forte hausse en
pourcentage de doctorats – soit le niveau maximum des études universitaires – dans le secteur des sciences entre des pays comparables4. Manifestement, nous sommes sur la bonne voie pour former la prochaine génération de chercheurs de pointe pour alimenter le pipeline d’innovation.

Les étudiants en doctorat et les diplômés sont parmi les principaux agents grâce auxquels les
idées se traduisent en innovations. Ils arrivent forts des compétences et des connaissances
spécialisées qu’ils ont acquises durant leur formation dans un milieu où celles-ci peuvent être
commercialisées. Toutefois, les perspectives d’emploi des diplômés hautement qualifiés dans le secteur privé restent anormalement faibles5. Le problème est attribuable dans une large mesure au fait que les entreprises du Canada investissent très peu dans la recherche-développement (R-D), de sorte qu’il ne leur est pas vraiment nécessaire de recruter des travailleurs hautement qualifiés. De ce fait, les diplômés du Canada qui ne se lancent pas dans la filière plus traditionnelle de l’enseignement et de la recherche universitaire ou collégiale finissent souvent par quitter le pays pour trouver des emplois dans le secteur privé de pays comme les États-Unis ou l’Australie.

Cet exode de talents canadiens représente une fuite dans le pipeline d’innovation. Les
investissements publics dans l’enseignement sont gaspillés car nous formons des gens en fonction d’emplois qui n’existent pas. La situation est aggravée par le fait que le gouvernement fédéral a préféré recourir à des stimulants fiscaux pour promouvoir les investissements des entreprises dans la R-D. Les stimulants fiscaux n’exercent un attrait que sur les entreprises qui ont effectivement déclaré un bénéfice et ils ont tendance à stimuler les efforts visant à « prouver » que la R-D a pu être réalisée après la déclaration d’un bénéfice, au lieu de stimuler la R-D à proprement parler. D’autres pays s’en remettent plus aux aides directes qu’aux stimulants fiscaux. L’amélioration du rendement de la R-D et de l’innovation des entreprises à long terme exige des investissements d’amorçage dans du personnel capable d’exercer ces fonctions.

Pour y arriver, nous devons multiplier le nombre d’emplois, en particulier les emplois de R-D
dans l’industrie, pour les diplômés canadiens. Des stimulants directs versés par l’État aux
entreprises pour qu’elles emploient des diplômés canadiens seraient plus efficaces à long terme que des allègements fiscaux. Un tel programme de stimulants pourrait revêtir plusieurs formes, comme des bourses de recherche postdoctorales pour les titulaires d’un doctorat valides dans l’industrie canadienne, ou des subventions ou des subventions salariales aux entreprises en fonction des nouveaux chercheurs de pointe qu’elles embauchent ou même des dotations pour créer des chaires de recherche d’entreprise. Le coût de telles mesures pourrait être pris en charge par des baisses équivalentes du niveau des crédits d’impôt pour les recherches du secteur privé, moyennant une modification du coût net nul du système actuel de stimulants.

Recommandation :
Que le gouvernement offre des stimulants aux entreprises pour qu’elles engagent des
diplômés canadiens en recherche de pointe et réduise le niveau des crédits d’impôt pour la
recherche et le développement expérimental.

Données à libre accès et conception
La transformation des idées découlant des recherches fondamentales en solutions et en produits livrables et commercialisables qui créent des débouchés économiques et contribuent à résoudre les problèmes complexes auxquels fait face la société est souvent un processus complexe et multidimensionnel. La conception technique a toujours été un élément essentiel de ce processus. Elle utilise les principes de la physique, de la chimie, des mathématiques et de plus en plus de la biologie pour trouver la meilleure solution à un problème ou à un besoin. La conception est un élément essentiel du pipeline d’innovation car c’est elle qui fait la différence entre une idée valable et un produit ou un service fructueux.

L’échange de connaissances est en passe de devenir un volet de plus en plus important de ce
processus. La nature complexe de bon nombre des problèmes les plus urgents auxquels la société est confrontée – la gestion et l’atténuation des dérèglements de l’environnement, la constitution de réseaux efficaces d’information et de communications, la conception de technologies intelligentes de réseaux électriques – exige des volumes considérables de données scientifiques et techniques. Souvent, le volume des données nécessaires est tellement important et le problème tellement complexe qu’aucun organisme ou entreprise de recherche ne peut y arriver seul. Dans l’industrie pharmaceutique, par exemple, de nouveaux modèles d’échange de connaissances font leur apparition car ils permettent aux entreprises de commencer à comprendre les causes sous- jacentes de maladies complexes sans investir de grosses sommes d’argent dans des recherches inconnues et peut-être même risquées6.

La liberté d’accès aux données en ligne améliore la capacité des recherches et de l’innovation;
elle augmente effectivement la transformation d’idées en nouveaux produits et solutions. Les
entreprises canadiennes pourront plus facilement avoir accès à des données financées par les
deniers publics et les utiliser comme « tremplin » pour leurs propres activités de recherche-
développement. La conception technique deviendra mieux intégrée dans le processus
d’innovation car elle englobera un plus grand nombre d’informations améliorées pour les
caractéristiques des produits finis. Des données en ligne à libre accès permettent également de réduire les disparités régionales au niveau de l’accès aux équipements scientifiques ou aux
subventions de recherche. Il est indispensable de terminer le pipeline d’innovation.

De nombreux entreprises canadiennes qui bénéficient de l’aide du gouvernement fédéral ont déjà adopté une politique de libre accès gratuit à leurs données. Par exemple, NEPTUNE Canada, le plus grand observatoire mondial du fond marin par câble, est en passe de se doter d’une politique d’accès à ses données qui impose peu de restrictions aux données et qui autorise l’accès gratuit aux données archivées et en temps réel en ligne. C’est une première mesure encourageante, mais il faut aller encore plus loin pour ne pas se laisser distancer par des pays concurrents comme les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et l’Union européenne, qui ont tous des politiques nationales d’accès aux données et d’échange des données. Le Canada doit se doter d’une politique nationale comparable sur l’accessibilité et la gestion des données contenant un engagement visant leur accès à long terme.

L’investissement financier qui se rattache à l’échange de données à libre accès est infime par
rapport aux retombées; par exemple, au Royaume-Uni, le gouvernement s’attend à ce que les
données à libre accès créent 6 milliards de livres (10 milliards de dollars canadiens) de valeur
économique pour le pays7. Le Canada ne peut plus se permettre d’attendre; nous disposons d’une excellente capacité informatique, et nous enregistrons l’un des plus hauts niveaux mondiaux d’investissement de l’État dans la recherche-développement. En déverrouillant les données, nous arriverons à déverrouiller le potentiel de ces investissements.

Recommandation :
Que le gouvernement élabore une politique nationale sur l’accessibilité et la gestion des
données qui contienne un engagement qui assure l’accès à long terme à la propriété
intellectuelle et la protège.

Conclusion
Il y a des signes qui montrent que les récents investissements du gouvernement du Canada dans la construction d’un pipeline d’innovation commencent à payer. Le Canada continue de jouer dans la cour des grands à l’échelle internationale dans de nombreux domaines des sciences et du génie, il augmente sa production de recherches et d’idées et se positionne comme protagoniste mondial dans la course aux talents. Mais il reste beaucoup à faire. Les investissements du Canada dans la construction d’une économie du savoir seront gaspillés si nous n’arrivons pas à traduire les idées produites par les recherches fondamentales en solutions et en produits nouveaux. Ce mémoire a souligné trois moyens d’y parvenir pour le gouvernement : créer des grappes d’innovation, offrir des stimulants à l’industrie pour qu’elle recrute des diplômés canadiens hautement qualifiés et élaborer une politique nationale sur l’accessibilité et la gestion des données. Ces changements sont indispensables si l’on veut construire un pipeline d’innovation efficace qui créera de la richesse et des emplois pour les Canadiens et qui nous permettra d’affronter les incertitudes économiques de l’avenir.

Le Partenariat en faveur des sciences et de la technologie (PFST) est une association de
26 organisations professionnelles et scientifiques représentant 50 000 membres du milieu
universitaire, du secteur privé et du secteur public. Il représente le milieu canadien des sciences et du génie auprès du gouvernement et s’efforce de faire avancer la recherche et l’innovation au profit de tous les Canadiens. Le PFST n’est pas un groupe de pression, mais un partenariat coopératif qui cherche à résoudre les grandes questions de la politique des sciences et du génie à l’échelle nationale.

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1 Rapport scientifique 2010, Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO).
2 L’état des lieux 2010, Conseil des sciences, de la technologie et de l’innovation (CSTI).
3 L’état des lieux 2010 : page 55.
4 L’état des lieux 2010 : page 62.
5 Espérances et résultats sur le marché du travail des titulaires de doctorat des universités canadiennes, Statistique Canada 2011, Numéro au catalogue 81-595-M.
6 Pharmacogenomics Reporter; http://www.genomeweb.com/dxpgx/new-genomic-data-sharing-efforts-aim-bridge- pharmas-revenue-innovation-gap; consulté le 6 août 2011.
7http://www.conservatives.com/Policy/Where_we_stand/Technology.aspx.